vendredi 19 novembre 2010

Vingt-quatre heures dans la vie d'une étudiante infirmière.

Il est six heures du matin et je suis debout, pleine d’enthousiasme pour une belle journée qui s’annonce. Je pars en stage, héhé, et j’ai de la chance de n’être qu’à vingt minutes de pédalage de mon lieu de stage (avec une belle côte). De la chance aussi d’être en maison de retraite et de ne travailler qu’à sept heures (dans certains hôpitaux, les transmissions sont à six heures quinze, ô joie ! voire à six heures, tant pis pour l’étudiant ponctuel).

A peine arrivée, je commence les prises de sang et les glycémies-insulines, l’infirmière est en retard, et ce n’est pas la peine de perdre du temps. J’ai ensuite une toute petite demi-heure pour réaliser la toilette complète au lit que l’on m’a attribuée. La dame s’énerve car je prends mon temps pour respecter les règles de l’art (manquerait plus pour plomber ma note qu’on me voit « oublier » de replier l’alèse afin que la patiente soit « sur du propre »). Les AS se vexeraient si l’étudiante inf’ ne faisait pas de nursing. Pire, si elle faisait comme elles font tous les jours. Puis, je rejoins l’infirmière pour distribuer les médicaments. Une centaine de traitements, à donner sur trois étages, en courant après des verres d’eau, en répondant au téléphone et en cherchant accessoirement bon de transport et autres carte vitale pour la résidente qui part en consult’.
Il est dix heures et les médicaments sont distribués ; il faut à présent que je complète les trois piluliers bêtement vides si l’on veut pouvoir donner les médicaments de midi à Monsieur Truc, Madame Unetelle et Mademoiselle Machine. Il faut mettre les aérosols (un à chaque étage), et il faut aussi préparer les « buvables » de midi, à savoir tous les médicaments qui ne peuvent pas être rangés dans le pilulier.
A dix heures et demie, je peux aller faire la deuxième toilette que l’on m’a refilée. Le petit monsieur s’est déjà habillé, je peux lui faire tout recommencer. Et grimper à l’étage au-dessus pour chercher un drap propre, l’AS a déjà rangé son chariot.
Il est onze heures et quart, l’infirmière débordée dans l’administratif n’a pas encore pu commencer les pansements. Pas de problème, je vais refaire les trois pansements d’escarres de la journée. Tant pis pour l’ablation des agrafes, on la met pour demain, ça ira bien aussi.
Et puis arrivent, parfois, dix minutes bénies où l'on apprécie infiniment la position assise. Et là, miracle du privé, rien à manger pour les soignants, même pas du pain et du fromage. Le petit goûter si réconfortant n'aura pas lieu... Et si tu veux du café ben t'amène tes dosettes, hein, logique. Un verre d'eau, ça ira bien... avant de répondre à la sonnette de Madame Pénible-qui-ne-s'arrête-pas-de-râler ; "mais enfin, pliez-la dans l'autre sens, la serviette !" (ton agacé-énervé-insupporté. Je me sens nulle et j'ai envie de pleurer.)
A midi, on peut retourner distribuer les médicaments. On donne un plateau particulier pour les patients plus dépendants de la « petite salle », les deux AS et l’ASH qui y sont peuvent les donner. Et nous distribuons, à deux, les soixante-dix autres traitements. En ouvrant les sachets, en décapsulant tous les comprimés, (la DDASS ne veut pas qu'on déconditionne avant...) en vérifiant les traitements accessoirement, et non, Madame Truc, je vous aime beaucoup mais ce n’est pas mon travail de vous apporter le sel.
Les AS n'ont pas donné les médicaments dans la petite salle. Il faut faire le tour de tous les résidents qui sont maintenant dans leur chambre pour leur donner.
Il est une heure de l’après-midi, les transmissions sont terminées. On peut préparer les buvables du soir et faire le compte de ce qui n’a pas pu être fait.


A quatorze heures trente, j’arrive chez moi et m’autorise une sieste d’une demi-heure avant de me mettre au travail : j’ai des partiels la semaine prochaine en retournant en cours, ce n’est pas le moment de glandouiller.
Eh oui, nous avons étudié les médicaments anti-cancéreux mais pas les cancers. Donc il faut que je cherche les mécanismes. Et vive mon Garnier-Delamare, mon cher dico, mon grimoire de référence. Et puis l’ascite, c’est quoi l’ascite ? On a écrit « voir cours sur le système porte hépatique », mais on ne l’a pas étudié, le système porte hépatique ! Où est mon livre d’anat’… ?
Ah ! le système hépatique ! Voyons voir.
-….
Je remets à plus tard l’étude de l’ascite et me cherche une tablette de chocolat pour le dîner. J’ai encore les anti-coagulants à étudier ; un médecin est venu, nous a tout dit en deux heures. Bienvenue dans un monde où vous n’avez pas le temps de travailler : le temps que nous aurions pu mettre à profit pour étudier les antico’, nous avons fait un travail de groupe au sujet d’une démarche de santé publique. Sur les problèmes de santé des étudiants infirmiers. Sans rire. Au programme : le manque de sommeil, le stress, la malbouffe.
A onze heures, je m’autorise à aller dormir. En lisant juste avant les Contes Cruels de Villiers de l’Isle-Adam, un peu de poésie dans ce monde de fous (je fais la pub, au passage) !


Le lendemain matin, je vais à l’IFSI, pour voir l’emploi du temps de la semaine prochaine. Les évaluations sont jeudi matin, ils nous ont promis du temps de révisions.
Lundi : TD de 8h à 16h30. Mardi : TD de 8h à 17h30. Mercredi matin : cours de médecins sur une prochaine évaluation (oui, nous avons deux évaluations par semaine, pendant cinq semaines). Mercredi après-midi : « révisions ».
… je vais me pendre et je reviens…



Ah oui, il faut encore que je travaille le cours sur les anesthésiques. C’est intéressant, mais ce n’est jamais qu’un catalogue. Autant apprendre le Vidal par cœur. Bon, je vais travailler le mécanisme. Mais avec les cours qu’on a eu sur le système nerveux, c’est pas gagné-gagné (voix de Calcifer, pour rire). Deux fois deux heures, en un an et demi. Intéressant. Un sans plan, l’autre au plan illisible (nous sommes cent vingt étudiants dans une salle de cours classique de huit mètres sur vingt. Le prof avait jugé judicieux de mettre tout son plan sur une diapo. Au-delà du troisième rang, le plan est un tas de pauvres taches sur l'écran).
-Comme vous le voyez sur ce schéma…
-Ah ben non.

Ma déprime au sujet des évals futures terminée, je retourne en stage. Il n’y a pas d’infirmière et je suis seule comme personnel infirmier cet après-midi. Je dois ranger la pharma et mettre à jour les piluliers, accueillir la sœur d’une résidente déprimée, répondre au téléphone, faire un pansement pas fait le matin, faire les changes avec les AS et leur chercher le goûter à la cuisine (au rez-de-chaussée), couper à intervalles réguliers le biiiiip strident de l’ascenseur qui plante, répondre au téléphone à la sécurité pour leur confirmer que non, il n’y a pas le feu, c’est juste un bug, reprendre les paramètres au petit vieux qui a chuté le matin et qui fait un genre de syndrome de glissement, prostré sur son lit avec 20 de tension…

Un infirmier libéral passe pour les glycémies-insulines du soir. Il me laisse des morphiniques à distribuer au coucher. Je fais le tour des trois étages pour donner les collyres et les buvables, les AS refusent de m’aider. Je reprends ses paramètres au petit vieux qui refuse de manger. Une AS vient me voir et, surprise, me demande « tu n’as pas commencé les changes !? ». Je retiens mes larmes et vais donner les morphiniques.
Je change et couche quelques résidentes en courant après le chariot qui avance plus vite que moi, peux enfin me poser et me fait engueuler par une AS car « Tu n’as pas descendu ce plateau à la cuisine !? C’est pas sérieux, ça, Machine ! » s’énerve l’autre, incapable même de se souvenir de mon prénom et m’en affublant d’un vieux moche.
Il est 20h30 et je suis chez moi, je me pose je m'effondre devant Scrubs et je regrette de ne pas avoir comme eux le temps de passer chaque jour deux heures à la cafet’.

 (Bon, tout ceci est un peu excessif, j'ai fait le compte d'une partie des trucs sympas qui me sont arrivés. Donc tout est réel et vécu, hein, juste concentré.)

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